Trump
Alain Badiou
Janvier 2020
Causes et conséquences d’une élection
( Conférence prononcée à l’université de Los Angeles, 2 jours après l’élection de Donald Trump)
I/ Constat du désastre
« C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit » ( cité par l’auteur)… Il s’agit de donner une réponse philosophique à l’élection de D.Trump, ce que le philosophe considère comme un désastre. Comme un événement, pourtant – quitte à le qualifier de « non-événement », mais comme un désastre, à savoir un processus qui manque d’un sujet réel, un processus de mystification.
Et une réponse à un désastre ne peut être que philosophique. Il y a à dépasser les affects dépressifs induits par ce désastre, par le constat « de ce qu’est fait le monde contemporain pour que la nuit dernière ait pu s’achever sur une telle terreur ».
-Il nous faut faire le constat que cette victoire est La victoire du capitalisme libéral, ainsi que, corrélativement, la disparition efficiente du marxisme – et conséquemment de toute forme de dialectique politique – comme opérateurs, comme réalité des subjectivités actives.
« Qu’est-ce qu’un sujet humain dans la vision libérale dominante ? Un sujet humain, c’est un propriétaire de capitaux ; et s’il n’est pas un régent du Capital, il ferait bien d’être un employé salarié. En tut état de cause, il faut qu’il soit un consommateur qui achète sur le marché les moyens de sa subsistance. Et s’il n’est aucun des trois, ni propriétaire, ni salarié, ni consommateur, alors il n’est rien du tout. »
La distinction fondamentale du libéralisme (avec le socialisme qui vise la fin des inégalités, mais aussi tout autre position politique possible) étant que : chaque chose a un prix !! Fin de l’alternative !
Le libéralisme triomphant acte une continuation perpétuelle, qui interdit toute rupture, même à venir. Là est le désastre : il acte une forclosion ! C’était la doctrine tatchérienne (there’s no way out).
Ce qui implique, selon Alain Badiou, qu’intriquée dansa un tel système, une telle élection était déjà jouée : « Je pense que le succès de Trump a été rendu possible précisément parce que la contradiction réelle du monde d’aujourd’hui, la véritable opposition entre deux choix antagoniques, ne pouvait d’aucune façon être symbolisée par le choix entre lui et Hillary Clinton.. Nous pouvons dire que les résultats de l’élection sont de nature conservatrice, non pas tant à cause de la victoire de Trump et des réactionnaires républicains, mais parce qu’ils résultent d’une contradiction secondaire présentée comme principale. »
Le centre du questionnement philosophique de cet événement est d’expérimenter si le capitalisme est réellement devenu cette Hydre de L’Herne monstrueuse, à laquelle aucune tentative d’évasion n’échappe, sauf à renoncer à toute tentative politique.. « Sartre disait que si l’espèce humaine n’était pas capable de faire plus que ça, elle ne laisserait pas un meilleur souvenir que l’espèce des fourmis ».
Devons-nous accepter un destin de fourmis ? C’est ce que nous faisons en acceptant cette démocratie artificielle, qui ne nous donne d’alternative qu’entre des discours fondés sur le même principe libéral, dont la brutalité et la violence sont les mêmes, quel qu’en soit l’habillage.
II/ Analyse dialectique – crise des subjectivités
– la « formule » qui peut monter le mieux cette brutalité et cette violence aveugle du capitalisme est donc celle-ci : l’étalon de la « vie bonne » est celui du culte du succès solitaire !
– Cette victoire univoque de cette formule s’accompagne d’une décomposition historique d’une oligarchie politique « classique », comportant une classe dominante cultivée, mais incluse dans un rapport de forces.
Ce que nous met sous les yeux cette élection, au travers de l’omniprésence incontournable du personnage de Trump comme Figure contaminante, c’est bien l’impossibilité d’un discours dialectique à tenir, culturellement disputé, devant cette présence envahissante d’un vide auquel il n’y a rien à répondre.
– Cette Figure s’impose comme victorieuse au travers de la peur populaire : Dans la mesure où la réalité ne se présente plus – ou n’est plus présentée – que sous forme d’incertitude ou de destruction, la forme « figurale » de fixation que représente le personnage incarné par Trump reste la seule alternative au vertige.
– Cause ou conséquence d’une telle situation (il faudra se poser la question), la situation politique réelle est alors celle d’une absence radicale de stratégie et d’orientation commune – même s’il peut y avoir des formes de révoltes résiduelles, mais qui restent interdites d’universalisation : « C’est le manque de ce que j’appelle, moi, une Idée ,une grande Idée. »
III / Que devons-nous faire ?
L’élection de D.Trump avait mené à prouver que toute élection tend vers le conservatisme
A partir de l’identification du ventre du Monstre comme l’identité de toute candidature éligible, soit la « contradiction à l’intérieur des mêmes paramètres », comment envisager la possibilité d’une extériorité libératrice de cette « seule voie » ?
Alain Badiou se fixe un objectif politique, au-delà de l’analyse : « Notre tâche est maintenant de construire une orientation politique qui ira largement au-delà des lois du monde tel qu’il est… ». Le « réel tel qu’il est » est devenu – d’où l’idée fondamentale de rupture – devenu impossible à supporter, et le « devenir autre » devient réellement injonction ! Cette injonction est celle de reposer comme nécessaire ce que le discours majoritaire a aboli du côté de l’impossible, à savoir l’hypothèse communiste, le choix d’un « nouveau commencement ».
Il s’agit de poser que la seule réponse possible à ce désastre est de revenir à la philosophie, donc à la dialectique : Nous avons le choix !! Il n’y a pas qu’un seul monde imposé.